jeudi 28 avril 2011

AFGHANISTAN : vivre et travailler à KABOUL 2.




AFGHANISTAN : Vivre et travailler à KABOUL. 2





Kaboul : Objectif pédagogique 
Les cours à l’UPK, Université Polytechnique de Kaboul, où Ashmat  forme des architectes, en se spécialisant sur l’architecture de terre : un atelier expérimental en vrai grandeur sur le campus.
 Voir : www.darah-afghanistan.net
Une salle de cours informatisée pour le niveau Licence-Master, dans un bâtiment remontant à l’ère soviétique et quelque peu délabré. La cafétéria sert aussi de salle de travail en dehors des heures de service.


 Le directeur du département M. Wardak aussi hors d’age.                              
 Au deuxième séjour il interrompait les cours
 pour inviter les étudiants à la prière de cinq heures
 sur le palier transformé en mosquée.












Michelle Rastoul faisait des conférences sur l’urbanisme et je fus, au pied levé et à main levée, chargée d’enseigner le dessin et la perspective à des étudiants de 2è et 3è  année. Tableau noir, craie blanche, en français et en anglais (!) Deux étudiants assuraient une traduction franco-anglo-dari, avec humour et une bonne humeur épatante. Des cours mixtes, un simple foulard pour les filles, dont la proportion se réduit au cours des années : lors d’un examen à l’université seulement deux filles dans un groupe de quinze jeunes hommes, déja agés -le retard pris dans les études en raison des différents conflits suffit à expliquer cet écart. Au deuxième séjour (mai 2008) elles étaient moins nombreuses et observaient une plus grande ségrégation dans l’atelier :    


Quelques étudiants qui postulaient pour une bourse d'étude en France ont eu droit à des cours de français appliqué à l'architecture (et de français non académique en vue de leur intégration dans des cités universitaires).  Certains auraient préféré regarder des films français,  ou américains, mais faute d’équipement d’électricité....Le nombre des boursiers est en accroissement. Un succès.

Les écoles d'Istalif
Darah-Afghanistan s’est consacrée à la construction d’écoles dans cette commune, assez  étendue en quartiers dans les vallées et sur les collines, afin de réduire les distances pour scolariser un maximum
d’enfants. Des écoles primaires mixtes, où les instituteurs sont des hommes, une école de filles et un collège secondaire féminin.
Un atelier de menuiserie permet de fabriquer le mobilier scolaire ainsi que des cadres de fenêtre pour réduire le coût de construction et les problèmes de transport.


Les institutrices viennent de Kaboul tous les matins, le minibus de Darah, conduit par Hamid, un neveu d’Ashmat, opère un « ramassage scolaire » dans différents quartiers : ces jeunes femmes particulièrement dynamiques et engagées  ne pourraient vivre à Istalif, pour des raisons familiales ou, certaines étant célibataires, pour éviter tout problème.
Certaines amènent leurs plus jeunes enfants, faute de garderie. Ainsi la salle des profs fait double emploi, au moins.       



Mon second voyage à Istalif, pour distribuer des vêtements aux écoliers  se fit avec ces institutrices, de très belles femmes -un instant dévoilées- qui ont accepté de se montrer dans leur liberté de travailler.  Elles se cachent complètement le temps de sortir de la voiture pour entrer dans l’école. Leurs rires et leur sourire ont hélas vite disparu au retour dans l’après-midi. Un emploi du temps épuisant, d’autant que seul le vendredi est libre.
Une bonne heure de trajet cahoteux dans chaque sens.  Une fois quittée la route principale au nord de Kaboul, il faut gravir une série de pistes ravinées par les pluies ou transformées en torrents après la fonte des neiges.


 Afin de conserver les filles dans un environnement scolaire (éviter ainsi un retour aux traditions du mariage jeune) après le niveau de troisième, des ateliers de couture sont en cours ainsi que l’extension en Lycée.

Dans la rencontre avec les instituteurs de l’école de Chénaqui, les ouvriers et la famille nombreuse du gardien, qui vit en face, on mesure l’écart entre les modes de vie urbains et ruraux au quotidien et les énormes difficultés économiques des familles. Les femmes continuent de travailler à un métier à tapis tendu dans l’étage sans fenêtres ni portes, faute de moyens pour achever la construction.



Les instituteurs,  gardien, directeur, ouvrier hazara.




Lors de mon deuxième séjour, Chénaqui et le collège furent inaugurés en grande pompe par Madame la Ministre de l’Éducation, les représentants de l’Ambassade de France qui contribue au financement des projets, les responsables administratifs de la région avec dans l’assistance tous les édiles locaux, quelquefois très modestes, qui ont donné leur terrain pour les constructions et siègeaient peut-être pour la première fois sur un banc d'école. Cette région continue de militer pour une démocratie, bien loin des ravages  de l’offensive intégriste, dans le domaine de la scolarisation  des filles en particulier.



mercredi 27 avril 2011

AFGHANISTAN : vivre et travailler à KABOUL

L’invitation, en 2007, par Darah-Afganistan (www.darah-afghanistan.net) faite comme accompagnatrice de Michelle Rastoul, de l’association Aster Bretagne (Architectes sans Territoire) était l’occasion de réparer un manque : le rêve de Kessel à l’adolescence, le faux départ (en 67 en stop pour voir les bouddhas du Bamian, interrompu par un tremblement de terre en Turquie) les impossibilités de voyager en temps de guerre. Les contournements par les pays voisins n’ont fait que renforcer la fascination obsessionnelle pour un nom comme un mythe.
A l’aéroport de Dubai 2, réservé aux destinations criseuses, les files ne laissent aucun doute: les guerriers et mercenaires américains façon cowboy pour Bagdad, les barbus enturbannés accompagnés de femmes voilées de noir pour le Pakistan , les « humanitaires » pâles, tristes et anxiogènes pour Kaboul.


Le survol des vallées et chaînes neigeuses, soleil levant magique, et la descente stupéfiante à ras les montagnes pour un tarmac défoncé, faisant aussi office de camp militaire. Puis la traversée de la ville quasi-déserte aux rues ravagées entre des bâtiments toujours entre démolition et reconstruction, une entrée en matière très cinématographique. Les moutons assurant le nettoyage.


L’accueil dans la maison d’Ashmat Froz, entièrement close sur un jardin intérieur, roses et raisin sur les treilles, le four à pain , une oasis de paix au flanc d’une des collines.





Les oncles et tantes, nièces et neveux avec enfants continuent à vivre tranquillement, comme indifférents (ou blindés) aux bruits extérieurs. Les tirs que l’on entend sporadiquement la nuit ; le passage des hélicos si bas qu’ils déclenchent l’alarme de la voiture.
Les coupures d’électricité (ou plutôt, les rares moments de branchement) n’empêchent pas d’entendre les prières de l’imam particulièrement excité de la mosquée voisine.
Les courses en bas de la rue : échoppes de brochettes fumantes, de fruits et légumes, et mini-market (notre « Fauchon ») dans une fumée et un bruit insupportables, chaque boutique étant alimentée en électricité par un compresseur posé sur le trottoir. Triple problème donc, l’eau, l’électricité (les usines et barrages de l’époque soviétique sont en ruine, ce n’est pas le manque d’eau dans des montagnes qui traversent le pays) et l’essence, importée à un prix exorbitant.
Un autre super market pour les expats, nombreux dans le quartier ( et même enlevés par erreur ou crapulerie), fournissait – miracle - les surgelés et les cigarillos. Pour l’alcool et la bière une autre histoire... Au printemps on a trouvé une échoppe de sikhs, dans un contrebas sordide de la route de l’Ipk, au tarif européen.
Au printemps, le grand nettoyage : lavage des tapis à grande eau ( là-encore comme pour l’électricité il faut attendre les heures de distribution et remplir la citerne.


Peinture des murs, et réfection des matelas : les cardeurs ambulants (comme certains vendeurs) apportent leur engin qui ressemble à une harpe monocorde. La vibration de la corde frappée par un cornet de métal défait l’agrégat de coton, produisant un nuage dense ; puis les sacs sont à nouveau remplis. Au suivant.






Sortir
Le soir, centre ville, dans la voiture banale, pour rencontrer quelques rares français, des restaurants, conviviaux (à l’entrée, un vestiaire, des cases pour « déposer les armes ») outre une carte un peu indienne, décor soufi, offraient du vin. Terminé au printemps.
Le Bistro, patron français, charmant jardin intérieur continuait son exposition-vente de tapis superbes. Est-il encore ouvert ? La rencontre avec Gabriel Buti, directeur du Centre Culturel Français me fournit l’occasion d’une exposition, et d’un retour pour la saison suivante.

Pour les expats et les humanitaires (des très petites ONG, sans la cohorte des 4x4 blancs provocants et consommateurs de 80% de leurs crédits), et les militaires, des réceptions à l’Ambassade de France : nous n’oublierons jamais le beaujolais nouveau de l’ambassadeur vêtu en compagnon, le taste-vin en bandoulière.
Une réunion suivante en avril 2008, pour organiser les projets, fut interrompue par le garde : problème, bavure. Face à la France, simplement défendue par deux pots plantés de rosiers, les Etats-Unis, triples murs surmontés de barbelés, un flingueur allumé avait tiré sur un afghan lambda, peut-être un peu fumé. La question posée par un député de service était : « sommes nous correctement protégés ? ». La semaine suivante, c’était Bernard Kouchner. Très petit, comparativement à l’ambassadeur d’un mètre quatre-vingt-dix. Il fut remplacé, nouvel arrosage...
Le Centre Culturel Français. Dans l’enceinte du Lycée Istikal qui forme les jeunes en langue française. Très actif, grâce à son directeur Gabriel Buti, agité comme un Malraux bis, des programmes de cinéma et de théâtre (Ariane Mnouchkine travailla avec quelques étudiants).
Superbe prestation de Brecht. Puis concert de musique indienne.


Fêtes
Les repas de famille se font concurrence dans la richesse de la table. Les amis, cousins du quartier puis les chefs des riches familles d’Istalif nous invitèrent dans leurs grandes maisons du quartier neuf au nord de Kaboul. Trente ou quarante convives au moins. La séparation entre hommes et femmes est traditionnellement respectée: pour les hommes un grand salon meublé de canapés modernes, de plantes et d’armes accrochées au mur ; pour les femmes et leurs enfants une pièce garnie de matelas et tapis et qui se transforme en dortoir quand la soirée se prolonge. Le service est décalé et la table (au sol) fastueuse.
Bénéficiant d’un statut d’exception, je pouvais circuler de l’un à l’autre, les hommes en particulier très fiers se prêtant volontiers aux croquis qu’ils signaient.


Un mariage grandiose dans un wedding hall gigantesque (béton et facade en mur-rideau vert ) fut une expérience étonnante.
Les femmes accueillies dans un vestiaire spécifique, se débarassent de leur chadri, pour se transformer en créatures de rêve, accèdent ensuite au salon où est dressée l’estrade destinée aux mariés. Hormis l’animateur et les photographes, le marié sera le seul homme ( le mari d’une femme européanisée fut reconduit à la frontière) à passer la longue soirée dans cette pièce décorée de fleurs , d’une arche symbolique et d’un écran pour diffuser l’arrivée du couple en limousine ! (quand on connait l’état des rues, celle-ci ne dut faire que le tour du pâté de maisons).


La mariée venant d’Ukraine - un scoop pour entrer dans un cercle tadjik qui combattit les soviétiques - les demoiselles d’honneur, très danseuses exotiques tranchaient avec le style local.
L’orchestre en revanche officiait dans le salon des hommes de l’autre coté du rideau de séparation. Ainsi les jeunes gens dansent-ils entre eux, gestuelle assez érotique.




Vendredi jour de congé , ballade sur le lac Qarga qui fut très populaire, un peu déserté.
Un golf pelé sans pelouse succède à un triste camp de réfugiés (on n’en parle pas) et deux tentes d’une ONG pour accueillir des enfants. Canotage : une femme en burqa sur un pédalo en forme de canard.. Des petits restos à brochettes et le bruit des hélicos de l’armée qui survolent.


Le vendredi alternatif, sans les cours, Istalif pour tous les nouveaux visiteurs.
La première découverte « touristique » d’Istalif, de ses écoles, ses chantiers et ses paysages magiques, c’était la floraison des arbres de Judée, nous a permis de mesurer l’ampleur et l’efficacité du projet Darah (sept écoles dans une commune très étendue). Mais aussi de goûter l’ambiance villageoise, de voir des arbres et de l’eau, la source où les habitants à dos d’âne remplissent leurs bidons. Au risque d’un regard romantique, les ruines s’accordent bien à l’environnement, tel est le destin de l’architecture de terre, se fondre dans la structure des montagnes. Le béton souffre plus. L’état de ruine de l’ancien hôtel de Massoud en témoigne.




à suivre....

AKA : village sur le fleuve Niger au Mali


Situé à la sortie du Lac Debo, ce village Bozo ouvre à la grande boucle du Niger.
Le lac regroupe différents bras du fleuve et s’étend sur environ cinquante kilomètres dans la traversée sud/nord. Le niveau des eaux ne le rend praticable au bateau de ligne que quelques mois par an ; en revanche les pinasses de transport s’y risquent au-delà des périodes d’hivernage.
Le lac, source de richesse -relative- pour les pêcheurs Bozo reste très inquiétant pour les peuls qui élèvent les maigres troupeaux sur ses bords et les Touaregs qui utilisent le fleuve pour le commerce entre Koulikouro, le port de Bamako et Tombouctou et Gao, à la limite navigable en direction du Niger. Les pistes et les routes étant impraticables, la route fluviale assure l’omnibus entre tous les villages.



Inquiétant par sa valeur magique aussi pour les Dogons qui y logent les dieux de leurs origines le lac l’est d’autant pour tous ceux qui ne savent pas nager : l’instituteur Bambara portait un gilet de sauvetage fluo, le jeune Ivoirien qui transitait depuis le Burkina se refaisait sans fin une beauté dans son miroir, mon voisin « forgeron Touareg » tentait de vendre ses bijoux, les femmes groupées allaitaient des enfants étonnamment silencieux, les autres s’en remettaient à Allah. Le classement par groupes ethniques préside aux regroupements dans un espace très réduit : Toubab (blanche) au départ, avec deux voyageurs égarés, après Aka je redevins femme avec les autres pour les soins des bobos et de la nourriture.


Conformément aux craintes et aux récits recueillis sur la falaise, la pinasse sur laquelle je m’étais donc embarquée avec ces quelque cinquante personnes, sur des tonnes de matériel au départ de Mopti, et après de nombreux arrêts -le cours du Niger était assez bas avant les pluies- eut quelques problèmes.

En entrant dans le lac, comme marquage d’un vague chenal, quelques bidons flottants disparaissaient dans la brume. Les femmes entreprirent de faire à manger, soit allumer un feu de branches directement sur le fond du bateau pour faire cuire le riz -gras, parfumé de quelques têtes de poisson surnageant dans les cuvettes. Le soir tombant, entre brume et fumées, le fond commença à prendre feu, le nuage fit perdre le cap et la pinasse s’enlisa dans un îlot de joncs infestés de moustiques.
À la question, « keskisepasse », retraduite en trois ou quatre langues à l’intention du pilote, la réponse fut « la route s’est mélangée ». Encalminés dans le noir, l’hélice bloquée, un commencement de panique fut amélioré par les prières du soir d’un Imam muni d’un lecteur de cassettes. Les deux autres toubabs égarés prièrent pour arriver à Aka afin de quitter le bord. Le pilote, contraint de plonger en dépit de la peur des hippopotames (monstrueux genre camion dix tonnes que l’on pu voir ensuite) et autres crocodiles, débloqua l’hélice, on ralluma le feu du bord, cette fois dans un kanoun, pour le sécher, vision extraordinaire d’un magicien nu sous les installations d’une crèche avec enfants et hamacs. Vers minuit, nous atteignîmes Aka... Noir total.



Au voyage suivant sur le Niger, cinq ans plus tard, le propriétaire de la pinasse continuait de citer « c’est toi qui était le jour où ma pinasse a pris feu » les légendes sont tenaces, et depuis on me soupçonne de « marabouter » toute situation.
Cependant cette fois-là, toujours en raison du manque d’eau dans le fleuve qui nous contraignit à faire une part du trajet à pied, la rencontre de merveilleuses jeunes filles porteuses de paniers remplis de poissons reste un des meilleurs souvenirs d’une autre petite aventure.


A suivre.....

vendredi 22 avril 2011

Les KAFIRS : sculptures du Nouristan
                                                          
                                            « Le pays de la lumière »

Cet article présente quelques aspects de l’art et de l’architecture du Nouristan, une province située à l’extrême nord-est de l’Afghanistan et qui communique avec les territoires du nord du Pakistan.
Avant 1890, du coté afghan la région était appelée KAFIRISTAN, en persan : le pays des infidèles. Les habitants polythéistes, pratiquaient l’animisme et le chamanisme.
Les rares documents et études de terrain réalisés dans les années 50 puis 2000 par des historiens, ethnologues et linguistes anglais ou allemands dont Max Klimburg montrent les parentés avec les ethnies voisines, plus qu’avec tout substrat culturel antérieur, et leur singularité au sein des traditions de l’Asie centrale.
Ayant eu la chance de séjourner à deux reprises à Kaboul en 2007 et 2008 pour l’association Darah-Afghanistan qui construit des écoles à Istalif à 50 km au nord de Kaboul, (le tableau noir du fond d’image en provient) et qui fut l’un des lieux de résidence de Massoud au temps de la résistance contre les soviétiques. Les incursions vers le nord, limitées en raison des conflits à la vallée du Panshir, ont été l’occasion d’étudier les constructions locales. Les sculptures présentées ici ont été dessinées dans le musée de Kaboul.

Histoire :

La région a été conquise en 1895 par l’Emir Abdur Rahman Khan et convertie de force à l’Islam, et renommée NOuristan, ce qui signifie « ceux qui ont été éclairés ».
Cette province formée administrativement en 1989 a été établie officiellement en 2001, en réunissant les parties nord du Lagman et du Kunar.
Elle est bordée au nord par le Badakshan, le Panshir à l’ouest, et communique avec le nord du Pakistan à l’est par la vallée du Kunar. Le relief de hautes montagnes, sur le versant sud de l’Hindu Kush, traversées de vallées, celles des rivières Kunar, Pech, Waigal, isolées des routes et pistes principales a préservé longtemps une culture spécifique. Les populations sont majoritairement issues de l’ethnie originale de cette province. La diversité des langues et dialectes atteste de leur singularité.

Légende :

On pense que le pays a été traversé par Alexandre le Grand et ses armées, au 3e siècle avant JC, entre le nord de l’Afghanistan - la Bactriane - et la vallée de l’Indus, et certains peuvent croire que les habitants en sont les descendants.
Ainsi, dans le cadre d’une tentative d’occupation anglaise, dans la deuxième partie du XIXe siècle, le mythe d’un royaume héritier d’Alexandre a inspiré le romancier Rudyard Kipling. Son ouvrage, « L’homme qui voulut être roi » a été transposé au cinéma, par John Huston en 1975. C’est peut-être l’unique référence pour le grand public : l’épopée des deux officiers anglais -quelque peu renégats- incarnés par Sean Connery et Michael Caine qui tentent de trouver un trésor les conduit dans ce territoire inconnu. Le périple partant du Khyber Pass les amène à l’issue d’une traversée des montagnes enneigées dans une région de conflits où le prêtre de la cité attend le descendant d’Alexandre. La religion partagée entre entre animisme et bouddhisme permet au décorateur d’inventer des constructions grecques sur une acropole, une statue d’Asie mineure améliorée par un troisième oeil, et des signes maçonniques pour mettre en scène des coutumes aussi éloignés de la réalité que celles d’un peplum. Seules les deux sculptures barbares qui marquent la limite du territoire offrent quelque ressemblance avec les pièces conservées au musée de Kaboul. Mais rien dans les objets et les sites ne permet d’attester une influence gréco-bouddhique que l’on peut en revanche vérifier dans les fouilles de la vallée au nord de Kaboul ou sur le site de Taxila au nord-ouest d’Islamabad.

Pendant la guerre contre les soviétiques, les Nuristani ont participé à une guerre de guérilla, bien que peu équipés contre les bombardements. Le photographe Raymond Depardon, en 1979, accompagné d’un guide inconnu à l’époque, Ahmad Shah Massoud, a traversé la frontière pakistanaise à partir de Chitral, par les montagnes pour pénétrer au Nuristan, dans la vallée de Kamdesh et rencontrer des combattants : les photographies et le texte sont édités sous le titre « Notes » (réed. in Points Seuil,2006)

Architecture et DÉCOR

Le milieu géographique impose une architecture de bois et de pierre. Les bâtiments sont étagés au flanc des montagnes ; des soubassements en pierre et les murs de séparation du niveau bas supportent les étages (deux ou trois) des maisons à toit terrasse qui sont édifiées grâce à un système de poteaux et de poutraisons emboîtées.
Les plafonds sont construits par séries de diagonales, puis de poutres parallèles aux murs, la longueur des bois disponibles interdit la traversée directe. Cet emboîtement permet d’ouvrir le centre du plafond pour évacuer les fumées.
Les systèmes de construction de bois, dans la vallée côté pakistanais sont analogues, une même tradition adaptée au relief. Les réfugiés Nuristani, réfractaires à l’islamisation, ont émigré du coté de Chitral, et les charpentiers employés pendant l’occupation anglaise des vallées voisines ont reproduit, en raison de conditions matérielles identiques, des formes architecturales semblables. Ainsi dans la vallée de Hunza, à 3000m d’altitude sur le flanc est de l’Hindu Kush, les bâtiments du fort de Baltit présentent les mêmes structures et décors.


Ce dessin pris dans le fort de Baltit en 2000 peut servir d’exemple.
Il montre la cuisine qui consiste en un four construit entre les poteaux, les marmites peuvent être en pierre ou en terre. D’autres récipients comme des théières de métal sont en revanche importées des modèles chinois anciens.

PILIERS 
 
L’artisanat domestique comme la statuaire ou le décor architectural découle des techniques de la taille du bois, et du tressage. Les décors qui ornementent piliers, poteaux ou figures déclinent des motifs géométriques.
Le sommet des piliers est décoré, pour le cube de liaison, d’un motif géométrique; pour le chapiteau, qui assure le raccord avec la poutre transversale. 

Quand l’architecture est riche, selon la fonction des bâtiments, la totalité des plans verticaux sont décorés de motifs géométriques ou d’entrelacs. Les motifs utilisés sur les piliers et les panneaux ou les portes étaient aussi figurés et stylisés : des têtes schématiques -en relation avec des traditions guerrières- ou des cervidés, animaux que la chasse et la religion paÏenne des Kafirs consacraient, comme on peut le vérifier dans la statuaire.



Cette tradition d’ébénisterie se retrouve dans les vallées du nord de Kaboul, mais nombre de motifs ont été influencés par l’islam et ne comportent alors aucune figuration animale ou humaine.
Le décor contemporain de l’Hôtel Intercontinental à Kaboul reprend les motifs que l’on peut voir sur les sculptures des Kafirs ou les architectures, en les complexifiant, sur des chapiteaux sphériques. Les décorateurs se sont inspirés des sculptures conservées au musée.



La tradition de menuiserie contribue aussi à la fabrication de mobilier. Les lits et les chaises sont tendus de cordes de cuir, les montants en sont richement décorés. Dans les vallées voisines, les motifs floraux sont inspirés des décors persans. Les coffres qui permettent de conserver les biens sont entièrement couverts de motifs géométriques, rosaces et quinconces, les bordures simplement rythmées d’entailles.



La statuaire : Les Kafirs

Les figures conservées à Kaboul avant leur destruction par la domination de l’Islam datent au plus tard de la fin du XIXe siècle. Ils représentent des ancêtres et des déités païennes, et correspondent aussi à la hiérarchie de la société en castes : les guerriers, les chasseurs et les travailleurs du bois.
Taillées dans le bois, d’une hauteur moyenne d’un mètre, ces sculptures composent des silhouettes assez schématisées ; le réalisme anatomique n’est pas leur qualité, les bras sont courts, les épaules très « carrées » le bassin étroit. En revanche les personnages d’ancêtres sont vêtus de costumes et équipés d’armes et baudriers ; les coiffures, de volumineux bonnets à étages (des couronnes ?) sont très richement décorés de motifs géométriques. Debout, au garde à vous ou assis sur des chevaux, ces guerriers et cavaliers avaient une fonction funéraire.
Ces statues présentent des variantes :
Le groupe des « dominants » avec tiare, collier et sceptre dont un exemple se trouve au Musée Guimet et un autre à l’ambassade de France.
Le corps debout, épaules très larges, les mains à la ceinture ; celle-ci très ornementée retient une sorte de jupette qui recouvre des culottes courtes et bouffantes : la jupette appartenait à la tenue des militaires gréco-romains, peut-être est-ce là l’origine ou la transmission d’un héritage... En revanche, les décors des vêtements et coiffes des chefs très élaborés, sont comparables aux motifs textiles  et aux tressages de fibres : arabesques, entrelacs, très complexes et calculés avec une extrême précision. (un cauchemar pour le dessinateur..)

Deux grands personnages debout dont la coiffure est réduite à une sorte de bonnet carré. L’un d’eux semble avoir des seins, contradictoirement avec l’apparence d’une barbe.
Les personnages plus simples, au vêtement réduit ou absent et coiffés d’un petit bonnet appartiennent à une classe inférieure. 
Les cavaliers : leur coiffure conique les apparente à une culture proto-iranienne et les rapproche des populations voisines au nord. La représentation des chevaux, très schématique, en fait des « chevaux de bois » dus à l’utilisation de la fourche d’un tronc : aucun assemblage n’est visible.



Le milieu forestier conditionne les matériaux, leur emploi et en restreint les dispositifs, dans la sculpture comme dans la construction :




Les techniques sont directement liées à l’usage d’outils de taille du bois : les proportions contraintes par le calibre des troncs d’arbre. Le motif peut aussi s’adapter au support : cette figure double de guerriers (?) décorait un pilier votif.


Ainsi on peut voir la trace des outils, hachette, serpe et couteau : les pièces les plus brutes sont dépourvues de décor : les fentes du bois indiquant les états du dégrossissage. 




















Les têtes simplement constituées de deux plans, l’arcade sourcilière et le nez, mais sans yeux ni bouches. Les joues, le menton dans un seul plan frontal en amande, ou rectangulaire lorsqu’il se prolonge par une barbe. La sculpture conservée au Musée Guimet en revanche comporte l’incrustation de cauris pour figurer les yeux. D’autres ne gardent que les trous.
Les mains dans tous les cas sont réduites à quelques rainures, et les pieds sont absents inclus ou détachés du socle.




Les deux déités feminines chevauchant un cervidé présentent des particularités surprenantes :
Une tête démesurée inscrite entre les cornes de l’animal surmontée d’une coiffe ou chignon ?
Des seins allongés.
L’autre semblant tenir debout sur un petit animal dont il ne reste que la tête.




Les études ethnologiques nous apprennent que les femmes ne portent pas le voile, les cheveux tressés sont visibles sous un bonnet brodé, les bijoux très volumineux couvrent des vêtements noirs ou des manteaux très ornementés. Les Nuristani actuels ainsi que les habitants de la vallée de Chitral portent des bonnets roulés, les pakols qui marquent aussi l’appartenance à l’ethnie tadjik de la vallée du Panshir, mais aucune coiffure des statues ne correspond vraiment à cette forme.
Et maintenant que reste-il de cette culture ??? 
AK