Les KAFIRS : sculptures du Nouristan
« Le pays de la lumière »
Cet article présente quelques aspects de l’art et de l’architecture du Nouristan, une province située à l’extrême nord-est de l’Afghanistan et qui communique avec les territoires du nord du Pakistan.
Avant 1890, du coté afghan la région était appelée KAFIRISTAN, en persan : le pays des infidèles. Les habitants polythéistes, pratiquaient l’animisme et le chamanisme.
Les rares documents et études de terrain réalisés dans les années 50 puis 2000 par des historiens, ethnologues et linguistes anglais ou allemands dont Max Klimburg montrent les parentés avec les ethnies voisines, plus qu’avec tout substrat culturel antérieur, et leur singularité au sein des traditions de l’Asie centrale.
Ayant eu la chance de séjourner à deux reprises à Kaboul en 2007 et 2008 pour l’association Darah-Afghanistan qui construit des écoles à Istalif à 50 km au nord de Kaboul, (le tableau noir du fond d’image en provient) et qui fut l’un des lieux de résidence de Massoud au temps de la résistance contre les soviétiques. Les incursions vers le nord, limitées en raison des conflits à la vallée du Panshir, ont été l’occasion d’étudier les constructions locales. Les sculptures présentées ici ont été dessinées dans le musée de Kaboul.
Histoire :
La région a été conquise en 1895 par l’Emir Abdur Rahman Khan et convertie de force à l’Islam, et renommée NOuristan, ce qui signifie « ceux qui ont été éclairés ».
Cette province formée administrativement en 1989 a été établie officiellement en 2001, en réunissant les parties nord du Lagman et du Kunar.
Elle est bordée au nord par le Badakshan, le Panshir à l’ouest, et communique avec le nord du Pakistan à l’est par la vallée du Kunar. Le relief de hautes montagnes, sur le versant sud de l’Hindu Kush, traversées de vallées, celles des rivières Kunar, Pech, Waigal, isolées des routes et pistes principales a préservé longtemps une culture spécifique. Les populations sont majoritairement issues de l’ethnie originale de cette province. La diversité des langues et dialectes atteste de leur singularité.
Légende :
On pense que le pays a été traversé par Alexandre le Grand et ses armées, au 3e siècle avant JC, entre le nord de l’Afghanistan - la Bactriane - et la vallée de l’Indus, et certains peuvent croire que les habitants en sont les descendants.
Ainsi, dans le cadre d’une tentative d’occupation anglaise, dans la deuxième partie du XIXe siècle, le mythe d’un royaume héritier d’Alexandre a inspiré le romancier Rudyard Kipling. Son ouvrage, « L’homme qui voulut être roi » a été transposé au cinéma, par John Huston en 1975. C’est peut-être l’unique référence pour le grand public : l’épopée des deux officiers anglais -quelque peu renégats- incarnés par Sean Connery et Michael Caine qui tentent de trouver un trésor les conduit dans ce territoire inconnu. Le périple partant du Khyber Pass les amène à l’issue d’une traversée des montagnes enneigées dans une région de conflits où le prêtre de la cité attend le descendant d’Alexandre. La religion partagée entre entre animisme et bouddhisme permet au décorateur d’inventer des constructions grecques sur une acropole, une statue d’Asie mineure améliorée par un troisième oeil, et des signes maçonniques pour mettre en scène des coutumes aussi éloignés de la réalité que celles d’un peplum. Seules les deux sculptures barbares qui marquent la limite du territoire offrent quelque ressemblance avec les pièces conservées au musée de Kaboul. Mais rien dans les objets et les sites ne permet d’attester une influence gréco-bouddhique que l’on peut en revanche vérifier dans les fouilles de la vallée au nord de Kaboul ou sur le site de Taxila au nord-ouest d’Islamabad.
Pendant la guerre contre les soviétiques, les Nuristani ont participé à une guerre de guérilla, bien que peu équipés contre les bombardements. Le photographe Raymond Depardon, en 1979, accompagné d’un guide inconnu à l’époque, Ahmad Shah Massoud, a traversé la frontière pakistanaise à partir de Chitral, par les montagnes pour pénétrer au Nuristan, dans la vallée de Kamdesh et rencontrer des combattants : les photographies et le texte sont édités sous le titre « Notes » (réed. in Points Seuil,2006)
Architecture et DÉCOR
Le milieu géographique impose une architecture de bois et de pierre. Les bâtiments sont étagés au flanc des montagnes ; des soubassements en pierre et les murs de séparation du niveau bas supportent les étages (deux ou trois) des maisons à toit terrasse qui sont édifiées grâce à un système de poteaux et de poutraisons emboîtées.
Les plafonds sont construits par séries de diagonales, puis de poutres parallèles aux murs, la longueur des bois disponibles interdit la traversée directe. Cet emboîtement permet d’ouvrir le centre du plafond pour évacuer les fumées.
Les systèmes de construction de bois, dans la vallée côté pakistanais sont analogues, une même tradition adaptée au relief. Les réfugiés Nuristani, réfractaires à l’islamisation, ont émigré du coté de Chitral, et les charpentiers employés pendant l’occupation anglaise des vallées voisines ont reproduit, en raison de conditions matérielles identiques, des formes architecturales semblables. Ainsi dans la vallée de Hunza, à 3000m d’altitude sur le flanc est de l’Hindu Kush, les bâtiments du fort de Baltit présentent les mêmes structures et décors.
Ce dessin pris dans le fort de Baltit en 2000 peut servir d’exemple.
Il montre la cuisine qui consiste en un four construit entre les poteaux, les marmites peuvent être en pierre ou en terre. D’autres récipients comme des théières de métal sont en revanche importées des modèles chinois anciens.
PILIERS
L’artisanat domestique comme la statuaire ou le décor architectural découle des techniques de la taille du bois, et du tressage. Les décors qui ornementent piliers, poteaux ou figures déclinent des motifs géométriques.
Le sommet des piliers est décoré, pour le cube de liaison, d’un motif géométrique; pour le chapiteau, qui assure le raccord avec la poutre transversale.
Quand l’architecture est riche, selon la fonction des bâtiments, la totalité des plans verticaux sont décorés de motifs géométriques ou d’entrelacs. Les motifs utilisés sur les piliers et les panneaux ou les portes étaient aussi figurés et stylisés : des têtes schématiques -en relation avec des traditions guerrières- ou des cervidés, animaux que la chasse et la religion paÏenne des Kafirs consacraient, comme on peut le vérifier dans la statuaire.
Cette tradition d’ébénisterie se retrouve dans les vallées du nord de Kaboul, mais nombre de motifs ont été influencés par l’islam et ne comportent alors aucune figuration animale ou humaine.
Le décor contemporain de l’Hôtel Intercontinental à Kaboul reprend les motifs que l’on peut voir sur les sculptures des Kafirs ou les architectures, en les complexifiant, sur des chapiteaux sphériques. Les décorateurs se sont inspirés des sculptures conservées au musée.
La tradition de menuiserie contribue aussi à la fabrication de mobilier. Les lits et les chaises sont tendus de cordes de cuir, les montants en sont richement décorés. Dans les vallées voisines, les motifs floraux sont inspirés des décors persans. Les coffres qui permettent de conserver les biens sont entièrement couverts de motifs géométriques, rosaces et quinconces, les bordures simplement rythmées d’entailles.
Les figures conservées à Kaboul avant leur destruction par la domination de l’Islam datent au plus tard de la fin du XIXe siècle. Ils représentent des ancêtres et des déités païennes, et correspondent aussi à la hiérarchie de la société en castes : les guerriers, les chasseurs et les travailleurs du bois.
Taillées dans le bois, d’une hauteur moyenne d’un mètre, ces sculptures composent des silhouettes assez schématisées ; le réalisme anatomique n’est pas leur qualité, les bras sont courts, les épaules très « carrées » le bassin étroit. En revanche les personnages d’ancêtres sont vêtus de costumes et équipés d’armes et baudriers ; les coiffures, de volumineux bonnets à étages (des couronnes ?) sont très richement décorés de motifs géométriques. Debout, au garde à vous ou assis sur des chevaux, ces guerriers et cavaliers avaient une fonction funéraire.
Ces statues présentent des variantes :
Le groupe des « dominants » avec tiare, collier et sceptre dont un exemple se trouve au Musée Guimet et un autre à l’ambassade de France.
Le corps debout, épaules très larges, les mains à la ceinture ; celle-ci très ornementée retient une sorte de jupette qui recouvre des culottes courtes et bouffantes : la jupette appartenait à la tenue des militaires gréco-romains, peut-être est-ce là l’origine ou la transmission d’un héritage... En revanche, les décors des vêtements et coiffes des chefs très élaborés, sont comparables aux motifs textiles et aux tressages de fibres : arabesques, entrelacs, très complexes et calculés avec une extrême précision. (un cauchemar pour le dessinateur..)
Deux grands personnages debout dont la coiffure est réduite à une sorte de bonnet carré. L’un d’eux semble avoir des seins, contradictoirement avec l’apparence d’une barbe.
Les personnages plus simples, au vêtement réduit ou absent et coiffés d’un petit bonnet appartiennent à une classe inférieure.
Les cavaliers : leur coiffure conique les apparente à une culture proto-iranienne et les rapproche des populations voisines au nord. La représentation des chevaux, très schématique, en fait des « chevaux de bois » dus à l’utilisation de la fourche d’un tronc : aucun assemblage n’est visible.
Le milieu forestier conditionne les matériaux, leur emploi et en restreint les dispositifs, dans la sculpture comme dans la construction :
Les techniques sont directement liées à l’usage d’outils de taille du bois : les proportions contraintes par le calibre des troncs d’arbre. Le motif peut aussi s’adapter au support : cette figure double de guerriers (?) décorait un pilier votif.
Ainsi on peut voir la trace des outils, hachette, serpe et couteau : les pièces les plus brutes sont dépourvues de décor : les fentes du bois indiquant les états du dégrossissage.
Les têtes simplement constituées de deux plans, l’arcade sourcilière et le nez, mais sans yeux ni bouches. Les joues, le menton dans un seul plan frontal en amande, ou rectangulaire lorsqu’il se prolonge par une barbe. La sculpture conservée au Musée Guimet en revanche comporte l’incrustation de cauris pour figurer les yeux. D’autres ne gardent que les trous.
Les têtes simplement constituées de deux plans, l’arcade sourcilière et le nez, mais sans yeux ni bouches. Les joues, le menton dans un seul plan frontal en amande, ou rectangulaire lorsqu’il se prolonge par une barbe. La sculpture conservée au Musée Guimet en revanche comporte l’incrustation de cauris pour figurer les yeux. D’autres ne gardent que les trous.
Les mains dans tous les cas sont réduites à quelques rainures, et les pieds sont absents inclus ou détachés du socle.
Les deux déités feminines chevauchant un cervidé présentent des particularités surprenantes :
Une tête démesurée inscrite entre les cornes de l’animal surmontée d’une coiffe ou chignon ?
Des seins allongés.
Les études ethnologiques nous apprennent que les femmes ne portent pas le voile, les cheveux tressés sont visibles sous un bonnet brodé, les bijoux très volumineux couvrent des vêtements noirs ou des manteaux très ornementés. Les Nuristani actuels ainsi que les habitants de la vallée de Chitral portent des bonnets roulés, les pakols qui marquent aussi l’appartenance à l’ethnie tadjik de la vallée du Panshir, mais aucune coiffure des statues ne correspond vraiment à cette forme.
Et maintenant que reste-il de cette culture ???
AK
tres intéressant et enrichissant
RépondreSupprimerj'ai été ému à la lecture de votre exposé car un flot de souvenirs m'est revenu en mémoire.
RépondreSupprimerj'ai vécu et travaillé en 1966 et 1967 dans le Nouristan dans le cadre d'une mission CINAM ayant pour but de créer un atelier de menuiserie pour fabriquer du materiel scolaire et des fournitures pour l'habitat.
l'implantation choisie était à Chaga Sarai le long du Kunar pour profiter de la proximité des massifs forestiers avoisinants.
Tout notre personnel était des locaux et parmi eux un certain nombre étaient originaires des villages de la vallée du Pech ,de Kamdesh ...
parmi eux il y avait des sculpteurs sur bois qui reprenaient les motifs traditionnels présents sur leurs maisons .
j'ai pu ramener divers travaux de leurs fabrication me permettant de en temps de rêver à ce si beau pays
bonsoir, la tragédie actuelle m'a amenée à ouvrir des vieux fichiers. Merci de votre souvenir..
Supprimerbonsoir, la tragédie actuelle m'a amenée à ouvrir des vieux fichiers. Merci de votre souvenir..
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