Erevan
Place de la République. détail. |
Une
capitale contre les campagnes :
Yerevan,
Quatre heures du matin, le taxi traverse le quartier de « Las Vegas »
ses néons et une tour Eiffel, puis la place de la république encore éclairée.
Par un gag pour cinéphiles, le salon de l’hôtel s’intitule « Ani
Hall ». De la fenêtre de la chambre, entre les antennes et les grues,
s’impose la vue du Mont Ararat, situé en Turquie, le symbole du dernier
territoire perdu par l’Arménie lors du découpage de 1920.
Une amputation qui réduit
le pays au dixième de son étendue lors de son apogée. Une vraie peau de chagrin. Les invasions, occupations,
catastrophes, émigrations et génocides pendant vingt siècles ont réduit la
population à moins de 4 millions d’habitants dont le quart vit à Yerevan (Erevan).
La carte montre ce qui reste de l'Arménie historique.
Une histoire trop complexe pour être résumée en quelques lignes. Les
arméniens de la diaspora, presque
aussi nombreux contribuent largement à l’économie du pays. (Lire le Découvertes Gallimard ou l'article de L'Encyclopédie Universalis.
Partant
seule à pied dans les rues, ma première rencontre fut une sculpture sur un banc
en bronze, place Charles Aznavour.
La place de la République, construite
pendant la période soviétique par l’architecte Tamanian, trouve ses qualités
par la couleur de la pierre, le tuf rose, et les ornements inspirés de la
tradition armeno-perse. Ce même usage de la couleur dans les constructions civiles et religieuse fait le caractère
de l’architecture arménienne.
la vie drôle et bizarre de mon père, 1987 |
Mon
urgence était la visite du Musée Paradjanov, consacré au cinéaste dont le film
Sayat Nova (1968) évoquait les visions du poète médiéval. Rassemblant les
créations plastiques, collages et assemblages, la maison fut aménagée en 1989.
Bien que Georgien, Serge Paradjanov mort en 90 à Yerevan, encore sous le régime
soviétique qui le condamna à la prison, fut nommé « Artiste du Peuple d’Arménie ».
(voir le blog ciné). Le bâtiment est (judicieusement?) caché derrière un hôtel de police, et au ras du précipice.
Une scène du film Sayat Nova |
Le bâtiment, à l’ancienne, domine la rivière ; en face un stade.
Dans le quartier sud, partout des échoppes et des vendeurs de fruits sur les trottoirs.
Mosquée Goy (bleue) |
Sur le chemin du retour, une visite au musée d’art moderne et contemporain, pas très palpitant et désert. La mosquée Bleue l’était aussi, seuls deux militaires prennent le frais. Le grand marché de style perse en travaux disparaît sous les bâches.
La nouvelle Avenue du Nord qui relie la République à l’Opéra a entraîné la destruction de tous les habitats sociaux au profit d’immeubles de grand luxe et de boutiques de marques internationales aux prix pharamineux.
Et cette destruction continue dans tout le quartier nord, contraignant les classes moyennes à gagner les banlieues.
Quand le salaire moyen tourne autour de 120 euros, soit environ 95000 drams (le nom de la monnaie ne rassure pas) on se demande qui peut acheter des chaussures à 500 euros ou plus, quand le pain coûte 200D le hamburger ou la bière 600D, et le loyer moyen plus que le salaire d'un prof, d’autant que les taxes d’importation en raison du blocus sont majorées de 30% pour tous les produits. Les ploutocrates et la corruption se portent bien.
Les gamins jouent autour du bassin et des statues de personnages historiques.
Le pianiste virtuose dont j'ai perdu le nom.. |
Entre les chantiers de destruction, la petite église
Katoghike (Sainte-Mère de Dieu) rassemble des fidèles et leurs cierges sous un hangar.
Construite au Xè s, elle présente les caractéristiques de l’architecture arménienne; une
coupole au toit « en parapluie » sur un plan cruciforme. Un vieux joueur de flûte le duduk, mendie.
Plus
loin, l’église Sourp Zoravor, la puissante, cachée dans un dédale d’immeubles accueille un baptême.
Ce
fut le prélude au circuit culturel passionnant –grâce au conférencier érudit et
à notre guide locale Mariam, très engagée pour le changement- à travers toute
l’Arménie. Il ne fut pas seulement question d’architecture (chapitre à suivre)
mais aussi d’économie et d’histoire.
Géographie :
De
la capitale dans la plaine d’Ararat, vers le sud, la route suit la frontière
turque (fermée et gardée par des garnisons russes) et le fleuve Araks, le mont
encore enneigé domine le paysage.
Khor Virap |
La
route fréquentée par des camions conduit en Iran, seule issue économique, en
traversant les montagnes ocres et jaunes après les récoltes.
Peu de troupeaux, petits villages
ruraux, de rares petites villes. On apprend que les moutons sont vendus à
l’Iran, ce qui explique que les menus soient réduits au bœuf et au poulet. Sauf
pour grande fête.
Les monastères sont isolés dans les montagnes au-dessus de vallées encaissées et dans des sites vertigineux.
Noravank |
L’arrêt à Goris, ville frontière avec le Haut
Karabagh, pour comprendre une situation politique inextricable et sanglante.
Les deux frontières avec l’Azerbaïdjan sont aussi fermées et étroitement surveillées.
En
remontant du sud au nord par le col de Selim, et son caravansérail du XIVe
dans des paysages superbes bien que dépouillés, on rejoint le lac Sevan. Bleu et bordé d’églises rouges. D’environ 50 km de long, le principal réservoir d’eau du pays faillit disparaître en raison du pompage pour l’usage industriel électricité et l’irrigation.
dans des paysages superbes bien que dépouillés, on rejoint le lac Sevan. Bleu et bordé d’églises rouges. D’environ 50 km de long, le principal réservoir d’eau du pays faillit disparaître en raison du pompage pour l’usage industriel électricité et l’irrigation.
La création d’usines thermiques puis d’une centrale nucléaire
permit au niveau de remonter, de sorte que la route doit être reconstruite
régulièrement ; les hôtels balnéaires ont été abandonnés,
encore perchés
sur les collines ou inondés, selon la date.
La truite du lac est devenue hors
de prix pour les habitants.
Dans
le cimetière de Noradouz, devenu très touristique, entre les khatchars, des vieilles femmes et des gamins dépenaillés
tentent de vendre des gants et des bonnets.
Monastère de Hagartsine |
La
vallée est-ouest au niveau de Vanazdor fut la plus importante région
industrielle du temps des soviétiques ; il n ‘en reste que des ruines le
long de la voie ferrée.
Il en reste une... polluante |
Le nord-ouest dominé par le mont Arakadz -une zone d’élevage de nomades- a subi le tremblement de terre de 1988.
Au
pied de la forteresse d’Amberd, l'église a mieux resisté,
La ville de Gumri détruite, comme tous les villages fait l’objet d’une reconstruction. À côté du musée, dans une architecture traditionnelle de bois ouvragé,
une nouvelle église monte avec des techniques de béton qui n’ont rien à voir avec les traditions que l’on a pu étudier dans les cathédrales du début de la chrétienté.
La
route de Gumri vers Erevan suit la frontière turque : une succession de
miradors dans un no man’s land que
l’on traverse prudemment pour voir la cathédrale d’Ereruk ; le site d’Ani
qui fut la capitale du royaume au Xè siècle est ainsi interdite, juste de
l’autre coté de la frontière.
Le pays des cailloux |
Dans
les zones cultivables, la récolte de pommes de terre, à perte de vue.
Le
retour, après la vue sur l’usine nucléaire (construite en dépit de la zone
sismique) au milieu des vergers et des vignes,
Le porche et l'Autel pour les messes en plein air. |
se termine à Etchmiatzine, le Saint-Siège de l’Église Arménienne, et
du Catholicos. Un Vatican local où les constructions modernes attestent
d’une autre richesse. Dans la librairie, on trouve un ATM !
L’autonomie
relative du culte à la période soviétique a trouvé un renouveau depuis
l’indépendance. Une cérémonie du vendredi démontrait l’importance du nombre de
prêtres et d’évêques et de fidèles aux voitures de luxe.
Retour
à Erivan : Visite de la
Galerie Nationale puis du Musée
Matenadaran, qui contient les fabuleuses collections de manuscrits anciens.
La résurrection; peintre Tarone, 1038. |
Le
bâtiment de basalte gris qui
domine la ville, construit en 1957,
est orné de statues monumentales des poètes, dont Mesrop Machtots ,
inventeur de l’écriture à la fin du IVè siècle.
Le sac du monastère, peinture de V. Sureniants, 1885 |
Un étonnant compromis entre
statuaire politique et religieuse.
Le patrimoine historique de
l’Arménie a donc été préservé tout au long des périodes d’occupation, et c'est l’appartenance à une culture, une langue et une église qui a fédéré les peuples en dépit d'un destin terrifiant. Et a inspiré les artistes de toutes époques.
Le
vendredi soir, le son /eau et lumières sur la place de la république
offrait le spectacle assez stupéfiant de foules réunies pour entendre la compilation
des «tubes » de Charles Aznavour . Concert en sono qui fut suivi par
la musique de Star Wars… Mais, C'était "formi, formi, formidaable".
P.S: le papier d’Arménie est une invention française.
P.S: le papier d’Arménie est une invention française.