Monastère de Moldovita: Crucifixion, XVè |
Terre multi-ethnique, la Roumanie fut
envahie, pendant des siècles par des voisins plus ou moins proches.
Contre
les ottomans, dans les territoires des plaines du sud, contre les
hongrois, qui annexèrent la
Transylvanie, contre les russes, qui ont repris la moitié de la Moldavie, et
contre l’interdiction faite sous le régime communiste, la religion fut de tous
temps un lien fédérateur pour la
constitution d’un état, et un rempart - au sens architectural même lorsqu’on visite les églises et les
monastères fortifiés.
L’art
des icônes et de la peinture pariétale fut influencé par la tradition
byzantine, et il semble qu’une école roumaine soit née dans les états
princiers de Valachie et de
Moldavie. (cf, article de Mr Voinescu, in Les Icônes, ed Nathan).
Notre
circuit commençait à Curtea de Arges, ancienne capitale de la Valachie
médiévale, et lieu de la sépulture des rois et des « Voïvodes ».
Étrangement
construite « pour ressembler à une mosquée », à la demande de Neagu
Basarab, en 1512. Le malheureux
architecte Manole emmura malencontreusement son épouse pour garantir la
solidité de l’édifice ; tenta de se suicider en s’envolant tel
Icare ; sa chute donna naissance à une source - à moins qu’il ne fût
exécuté pour ne jamais recopier son chef d’oeuvre. Une légende porteuse, dans un site qui vit aussi le règne de
Vlad l’Empaleur.
Les saints de Curtea, XVè, Musée de Bucarest |
Torsades et reliefs ciselés dans la pierre crème
transforment l’église en reliquaire géant.
Quelques peintures d’origine sont conservées au
musée de Bucarest,
le
décor fin XIXè est redevable à un français, André Lecomte du Nouÿ, frère du
peintre orientaliste et adepte de
Viollet le Duc, l’or en plus.
Curtea : décor intérieur |
Les femmes se bousculent dans le sanctuaire
voisin, et à la sortie nous laissons le passage à un cortège
d’enterrement ; le défunt dans le cercueil ouvert, sur la plateforme d’une
camionnette.
Le
monastère de Cozia
Sur
la rive sud de l’Olt, à la limite de trois départements et désormais à l’abri
des inondations depuis la construction d’un barrage, le monastère fortifié sur
trois côtés encadre l’église du
XIVè siècle. Loin des routes jadis et dans des forêts de noyers.
Cozia : le paradis ( et le prêtre historien) |
La construction a été restaurée en révélant
les assises de briques ; un
plan simple : la nef précède
une abside triconque surmontée d’un clocher unique. Desbâtiments dont une
chapelle transformée en musée furent ajoutés, sur la commande de Neagoe Besarab en 1517.
L'enfer, détail |
La Vierge en majesté. |
Cozia |
Sur
les murs de la nef, les représentations de Mircéa le Vieux, le premier
commanditaire, mort en 1418, ainsi
que les portraits des voïvodes,
Brancoveanu et sa suite, et quelques ermites barbus. L’iconostase en
revanche est tardive.
Ce
monastère toujours très actif a essaimé dans la région, comme centre de
formation des moines.
La
BUCOVINE
Sur
le flanc nord des Carpates, et au nord ouest de la Moldavie, ce territoire fut
une principauté indépendante sous Dragos puis Bogdan 1er au XIVè siècle. Lors des invasions
turques, les moines se réfugièrent dans cette région et construisirent de
nombreux monastères fortifiés pour accueillir les paysans.
Moldovita : mur sud : L'Arbre de Jessé. |
Leur
particularité tient aux fresques qui couvrent les murs extérieurs de l’église,
que les toitures débordantes ont protégé jusqu’à nos jours, la situation
géographique excentrée les ayant fait oublier de la révolution. Les côtés nord
sont cependant très abimés.
Moldovita
Moldovita |
Construit
en 1532 pour le prince Petru Rares.
Les prophètes. |
On
aborde l’église par le chevet après avoir passé le porche de l’enceinte :
hauts registres de prophètes en pied sur les absides, les philosophes de
l’occident y sont intégrés, Platon supporte son squelette.
Platon et la Sybille |
Puis le vaste mur sud à dominante
bleu-vert de L’arbre de Jessé. La généalogie du Christ. Les explications -fort
érudites- nous sont données par la redoutable Mère Tatiana, armée d’un
parapluie et d’une torche laser.
La cité assiégée. |
Sur
la partie ouest de ce mur, au-dessous des vignettes représentant la vie de la
Vierge, une scène « historique » : le miracle de l’icône qui
protégea la ville de Constantinople
Les armées ennemies |
de l'invasion des perses et des Avars.
Au sommet des murs, l’évêque déploie
aussi la vera icona.
Tatiana
ajouta les vandales qui
graffitèrent les fresques, dont on peut imaginer quelle armée de
peintres les réalisèrent en deux années.
La vera icona et l'icône de la vierge |
À
l’intérieur du naos, les murs illustrent le calendrier des fêtes orthodoxes,
qui se termine à Pâques, la célébration principale du rituel.
Détail de "vandales". |
En
visitant le petit musée attenant, notre moniale nous raconta qu’elle fut
institutrice pendant la période communiste, avant de rejoindre le
monastère, réservé aux femmes,
comme celui de Voronet.
Voronet
Son mur ouest aveugle, tel un écran
géant, supporte une représentation du Jugement Dernier.
Voronet, mur ouest: le Jugement dernier. |
Les donateurs |
Étrange
composition en partie dissymétrique où le mur tel un rouleau de parchemin
abrite les élus, alors que le flot écarlate entraîne les damnés. Sur la partie
basse à droite, une Vénus marine , très inspirée de la peinture romaine
tardive, chevauche deux dauphins.
Le
mur sud illustre un « arbre de Jessé », identique à celui de
Moldovita , en version bleue.
Tous
les saints et archanges et prophètes s’étagent de la même manière sur les absides. Les artistes provenaient de la même école, avec un programme iconographique aussi élaboré. Et quelques variantes, dans l'enfer:
Voronet, détail, Déesse marine. |
Dans
la nef, le donateur Etienne le grand, son épouse, Maria et l’héritier Bogdan
offrent la maquette au Christ.
Nous n'avons pas pu voir Humor, Arbor ou Sucevita, mais en revanche:
Neamt |
Le
monastère de Neamt, n’est
décoré qu’à l’intérieur. Construit au début du XVIè par Alexandru cel Bun,
reste un centre d’enseignement ; le réfectoire nous attendait, son vin et son alcool de
prune aussi.
Monastère de Neamt : l'iconostase, XIXè |
Le pope de Secu |
Secu : autre monastère proche terminé en 1605 : l’ église blanche dans
une enceinte habitée de moines fort actifs et francophiles.
Art Populaire :
Les
icones sur verre
Musée de Sibiel |
La
tradition religieuse des icônes, à titre domestique, s’est développée dans les
régions rurales de Transylvanie,
depuis les périodes d’occupation des saxons et hongrois. Rassemblées par des
prêtres et chercheurs, on les trouve au musée de Bucarest et dans le petit musée de Sibiel, grâce au
travail de Zosim Oancea, qui fut aussi un héros ou martyre.
Une
collection de pièces, classées par régions et périodes, rassemble des
représentations modestes.
"Le pressoir Mystique" |
La technique simple, couleurs apposées à l’envers de
la plaque de verre, permet de copier des modèles ou d’inventer des images
inédites dans la grande peinture. Les pampres de vigne, ici incarnant l'eucharistie se retrouvent sur les décors des petits édifices votifs de la région.
Icône sur verre . X au tombeau, début 19è. |
Le
musée Popa :
Mr Popa, autoportrait |
Quelquepart du côté de Neamt, la maison de Monsieur
Popa renferme une fabuleuse collection d’oeuvres populaires.
Sculptures de pierre; |
L’auteur - qui fut
sculpteur, anthropologue, enseignant, a rassemblé tous les témoignages des
traditions locales : les masques pour le carnaval, les costumes permettant
d’identifier le village et l’age des jeunes gens.
Masques de carnaval |
Son fils devenu conservateur,
en narre dans un français remarquable les anecdotes
moins religieuses.
La maison de Mr Popa, architecture de bois et sculptures. |
Conservatoires
Une
dernière rencontre non moins étonnante de
« Musée personnel » fut à Brasov, la « Première
École » de langue roumaine à
côté de l’église Saint Nicolas.
Attestée dès la fin du XV, puis reconstruite en 1760, cette école édita
les premiers livres en roumain, « facteurs d’unité nationale ». Mr Vasile Oltean, son conservateur fut
professeur, prêtre, éditeur et auteur d’ouvrages d’érudition (« 37, que
personne n’a jamais lus »,
dit-il en souriant).
Manuscrit ancien, annoté tardivement... |
Après
une leçon inaugurale humoristique, la découverte des manuscrits et premiers
livres imprimés et quelques icônes laisse à penser qu’il serait urgent de les
sécuriser.
Au
terme d’un parcours trop rapide, il faut admirer cette capacité roumaine de
valoriser des trésors, et remercier notre guide Adrian, qui nous a fait
rencontrer autant de personnages inoubliables de l’histoire vivante.
Mr Vasile Oltean, pédagogue |
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