Autorisés à quitter l’empire avec un « alibi » diplomatique,
livrer une future épouse pour un monarque du nord de l’Inde. Les trois Polo
prennent un nouveau départ en longeant le Grand Canal, qui débouche par Hangzhou
sur le Yangtze et rejoint l’estuaire du côté de Shanghai.
L'empereur précédent, et ses vaisseaux, revu 20è, dans le château de Fengjie sur le Yangtze. (ph 2015) |
La description de la
flotte, quatre grands vaisseaux à quatre mats, deux-cent cinquante
«nautoniers » et gardes armés, on peine à imaginer. À l’arrivée il n’en restera
que 18, plus une femme.
Dès le premier chapitre Livre, (CLIX), puis à chaque
escale, en bon marin, Marco étudie de manière très critique les différents types
de bateaux, le gréement , la technique de radoub.
«Ces grandes nefs ont si
grandes barques qu’elles portent bien mille paniers de poivre. mais vous dis
aussi qu’elles mènent quarante, cinquante, certaines soixante, certaines
quatre-vingts, certaines cent nautoniers, et elles vont à la rame et à la voile,
selon l’occasion…. ».
Au passage, il évoque les tentatives ratées de l’invasion
de Çipingu (le Japon) par les armées mongoles, en 1281, puis en 1293, attirées
par les ressources en perles, en or:
« Je vous dis que ce palais est d’une
richesse si démesurée, que ce serait trop grandissime merveille si quelqu’un
pouvait en dire la valeur».
Des palais plaqués or, soit, sur peintures à fond Or, mais le Temple d’Or ne
fut construit qu’en 1397. Pour les amateurs, revoir Kurosawa ou le film «Goyokin, l’or du
Shogun ». Et surtout visiter passionnément (Voir Blog, 2018 et 2019).
Longeant
les côtes vers le sud de la mer de Chine,
un arrêt au Champa:
Ensemble de ruines à My Son:
Marco Polo dès cette étape s’intéresse aux
religions hors du Catay, sans grande distinction, à partir des sculptures qu’il
observe: ainsi la statuaire des Khmers, et des Tamouls de Ceylan.
« Et vous dis
que les Idolâtres ont des idoles qui ont têtes de boeuf, d’autres qui ont tête
de cochon, d’autres de chien, d’autres de mouton, et telles de maintes autres
façons. Il y en a qui ont une tête à quatre visages, et certaines ont trois
têtes, c’est à dire, l’une comme il se doit, et les deux autres sur les épaules,
une sur chaque épaule. Il y en a qui ont quatre mains, ou qui en ont dix, ou qui
en ont mille, et celles qui en ont mille sont les meilleures et ont plus grande
révérence. »
Son intérêt pour le détail des religions prend corps lors des
étapes suivantes, mais:
« Les faits que ces Idolâtres sont d’une telle
étrangeté, et d’un tel travail diabolique, qu’il ne ferait pas bon les
mentionner en notre livre, parce que ce serait trop mauvaise et abominable chose
à ouir pour les Chrétiens.. »
Java et Sumatra.
Idolâtres
antérieurement, les habitants ont été convertis par les Sarrasins « à
l’abominable loi de Mahomet ». "Ceux des montagnes n’ont point de religion et
sont comme des bêtes. »
« À Sumatra, nous restâmes cinq mois, avec environ deux
mille hommes de la compagnie et construisîmes cinq châteaux de poutres. Car ce
n’était pas le bois de construction qui manque.»
Les modes de construction sont restés identiques:
Les magiciens ne manquent pas
non plus pour accélérer les agonisants, manger leur chair et mettre les
ossements dans de petites arches de bois placées dans des cavernes. Un rituel
commun aux Célèbes.
Et cependant les navires de commerce font escale...
Passant le détroit de Malacca, Marco navigue à plusieurs
reprises entre Ceylan et les côtes de l’Inde :
Ceylan,
"Grande et belle île",
riche grâce au commerce des pierres précieuses, de la pêche aux huitres
perlières, plusieurs pages sur la technique et les ressources en poisson et en
épices. Marco détaille les coutumes du roi de son époque: polygamie, et
pratiques hindouistes:
Adorateurs du boeuf, et donc plutôt végétariens, certains
ne mangent que des animaux tués par les « Sarrasins », les femmes suivent le
mari sur le bûcher. Très propres, se lavent deux fois par jour.. il y revient
dans les royaumes de l’Inde.
Polonnaruwa, le Temple Vatadage, XIIè, (ph 2017) |
Marco découvre alors le Bouddhisme (du Petit
Véhicule) et entreprend un long récit de la vie de Bouddha.
Le "délicat
damoiseau", fils de roi, d’abord rejeté par son père qui le tenta par "trente
mille pucelles, belles et avenantes", part, après la rencontre avec le malade, le
vieillard et le mort, pour trouver un monde moins imparfait.
Il s’en alla en de
grandes montagnes, faisant grande abstinence. « Ils disent qu’ils mourut
quatre-vingt quatre fois, et à chaque fois il devint un animal, cheval, singe,
chien mais la quatre-vingt quatrième fois il mourut et devint dieu. » Une concession:
« Car
certes, s’il avait été baptisé chrétien, il aurait été grand saint avec Notre
seigneur Jésus-Christ ».
Ses effigies diffusées dans toute l’Asie et les
monuments rayonnent au point que Le Grand Khan, Kubilai envoya des émissaires en
1284 pour acquérir quelques reliques, cheveux, dents, écuelle.
Mais aussi, à Ceylan, ces
femmes aux pantalons rembourrés de bandes de coton.
Coffre de mariage, Musée de Galle, Sri Lanka (ph.2017) |
Et toujours la pêche et les
énormes poissons. Curieusement, si Marco Polo étudie les ressources agricoles,
les types de vin de fruits de plantes et l’alcool de riz, jamais n’évoque le
thé.
Les côtes sud de l’Inde.
Mamallapuram, Relief VIIè s. La descente du Gange? |
Région de Malabar et de la côte de Coromandel :
Retrouvant enfin un lieu chrétien, il évoque le tombeau de l’apôtre Saint Thomas
qui évangélisa l’Inde depuis l’Asie Mineure, pour finir, tué ?, sur la côte est,
proche de Madras, vers 90 après J-C.
Plusieurs étapes dans les royaumes
concurrents: dans l’actuel Tamil Nadu: le royaume Tamoul des Cholas, principal
occupant de la région de Madurai. Puis des traces de l’extension du Royaume des
Hoytalas , dont le centre à Hampi (Karnataka) dernier grand royaume à résister
au sultanat de Delhi.
Des Royaumes aux noms exotiques: Mutifili, Coilum, Comari,
Eli, que les traducteurs ont pu situer, tous hindouistes, aux moeurs identiques.
Marco Polo n’a jamais levé la tête pour décrire les temples gigantesques, par
interdit moral?
Une étude des différents « Idolâtres»: adorateurs de la vache,
prêtres de l’hindouisme et les yogis, ascètes vivant nus.
Ses commentaires sur
les pratiques d’hygiène sont fort croustillantes. Les brahmanes:
« Et vous dis
que tous les Braaman se reconnaissent à un signe qu’ils portent. Car sachez que
tous les Braaman du monde portent un fil de coton sur l’épaule droite se le
lient sous l’autre bras.. » .
Un peu magiciens font des horoscopes et des
divinations. Quant aux ascètes, les ciugi (yogis) qui vivent nus, la nécessité
de la crémation se justifie:
« ils disent que s’ils ne brûlent les corps morts,
ils feront des vers, et qu’après que les vers auront mangé ce corps dont ils
sont créés, ils n’auront plus rien à manger, l’âme de ce corps en aura grand
péché, car ils disent que les vers ont une âme ».
Les rois de l'Inde du sud élèvent aussi des chevaux, qu'ils exportent à Ceylan.
Leur usage religieux anime les temples, pour les processions, comme à Hampi. Ils connaissaient la roue!
Marco décrit aussi les
cérémonies aux temples où des danseuses nues -sauf leur « nature »- lèvent haut
la jambe et tournent interminablement pour réconcilier le « dieu et la déesse »
fâchés. On reconnaitra les amours tumultueuses de Shiva, jamais nommé.
Shiva dansant, Musée Guimet. |
Suite de
la circumnavigation.
Suivant la Route de la Soie, connue depuis l'antiquité, Contournant le Karnataka, les principaux ports de commerce
maritime entre le golfe persique et la Chine. Des milliers de vaisseaux de tous
tonnages, jamais à l’abri d’attaques de corsaires.
Bateau arabe, expo IMA |
Gujarat: le temple de Modhera. (ph.2013) |
Église sur le Lac Tana, Éthiopie (ph 2011) |
Puis Zanzibar, ses éléphants et ses girafes, enfin le sud du Yémen. (Jamais vu
hélas!)
La navigation se termine à Ormuz, sa ville caniculaire où des tours de
ventilation rafraichissent les habitations. Sources chaudes, hammams, et
charmantes musiciennes.
La remontée en caravane à travers la Perse, se termine à
Erzurum, la cité qui fut la dernière ville de ma première tentative (retour aux
origines), puis Constantinople et Gênes où, Marco, enfermé, rédige ses mémoires:
On repart au Livre 1. Les imagiers des manuscrits, contraints par leur format, n’ont jamais mesuré la dimension des nefs!