dimanche 7 février 2021

SUR LA ROUTE de MARCO POLO : LE LIVRE DE L'INDE.

 Autorisés à quitter l’empire avec un « alibi » diplomatique, livrer une future épouse pour un monarque du nord de l’Inde. Les trois Polo prennent un nouveau départ en longeant le Grand Canal, qui débouche par Hangzhou sur le Yangtze et rejoint l’estuaire du côté de Shanghai. 
 L'empereur précédent, et ses vaisseaux, revu 20è, dans le château de Fengjie sur le Yangtze. (ph 2015)
La description de la flotte, quatre grands vaisseaux à quatre mats, deux-cent cinquante «nautoniers » et gardes armés, on peine à imaginer. À l’arrivée il n’en restera que 18, plus une femme. 
Dès le premier chapitre Livre, (CLIX), puis à chaque escale, en bon marin, Marco étudie de manière très critique les différents types de bateaux, le gréement , la technique de radoub. 
«Ces grandes nefs ont si grandes barques qu’elles portent bien mille paniers de poivre. mais vous dis aussi qu’elles mènent quarante, cinquante, certaines soixante, certaines quatre-vingts, certaines cent nautoniers, et elles vont à la rame et à la voile, selon l’occasion…. ».
 Peinture, Château  de Himeji (ph 2018) 

 
Au passage, il évoque les tentatives ratées de l’invasion de Çipingu (le Japon) par les armées mongoles, en 1281, puis en 1293, attirées par les ressources en perles, en or: 

« Je vous dis que ce palais est d’une richesse si démesurée, que ce serait trop grandissime merveille si quelqu’un pouvait en dire la valeur».


Des palais plaqués or, soit,  sur peintures à fond Or, mais le Temple d’Or ne fut construit qu’en 1397. Pour les amateurs, revoir Kurosawa ou le film «Goyokin, l’or du Shogun ». Et surtout visiter passionnément (Voir Blog, 2018 et 2019). 

Longeant les côtes vers le sud de la mer de Chine, 

un arrêt au Champa
 Navire de guerre Champa, l'ennemi, vu à Angkor, IXè, (ph 2015)





Une évocation du royaume fondé au IVè siècle qui tomba à la suite des guerres contre les Khmers voisins au XIVè. Situé sur la côte du Vietnam, proche de Danang. Un peuple de guerriers et de pirates, fut converti à l’hindouisme par ses liens avec Java. Le grand Khan avait envoyé une armée contre le roi qui payait déjà un tribut en éléphants, puis après annexion comme vassal, envoya Marco Polo en 1288. Des «châteaux», et des temples: 
Ensemble de ruines à My Son:



 Tombeau du Roi, Musée de Danang.
Marco Polo dès cette étape s’intéresse aux religions hors du Catay, sans grande distinction, à partir des sculptures qu’il observe: ainsi la statuaire des Khmers, et des Tamouls de Ceylan. 



« Et vous dis que les Idolâtres ont des idoles qui ont têtes de boeuf, d’autres qui ont tête de cochon, d’autres de chien, d’autres de mouton, et telles de maintes autres façons. Il y en a qui ont une tête à quatre visages, et certaines ont trois têtes, c’est à dire, l’une comme il se doit, et les deux autres sur les épaules, une sur chaque épaule. Il y en a qui ont quatre mains, ou qui en ont dix, ou qui en ont mille, et celles qui en ont mille sont les meilleures et ont plus grande révérence. » 






Son intérêt pour le détail des religions prend corps lors des étapes suivantes, mais: 
« Les faits que ces Idolâtres sont d’une telle étrangeté, et d’un tel travail diabolique, qu’il ne ferait pas bon les mentionner en notre livre, parce que ce serait trop mauvaise et abominable chose à ouir pour les Chrétiens.. »

 Java et Sumatra


Toujours plus intéressé par la faune et les ressources agricoles, le poivre, que l’architecture. il note les régimes alimentaires, que de poisson et de riz au menu, et du boeuf, cru au besoin, comme sont mangés les défunts et des victimes de passage. 
Idolâtres antérieurement, les habitants ont été convertis par les Sarrasins « à l’abominable loi de Mahomet ». "Ceux des montagnes n’ont point de religion et sont comme des bêtes. »
 Wakabubak, (ph 2009)



 « À Sumatra, nous restâmes cinq mois, avec environ deux mille hommes de la compagnie et construisîmes cinq châteaux de poutres. Car ce n’était pas le bois de construction qui manque.»

Les modes de construction sont restés identiques:




 





Les magiciens ne manquent pas non plus pour accélérer les agonisants, manger leur chair et mettre les ossements dans de petites arches de bois placées dans des cavernes. Un rituel commun aux Célèbes. 
Et cependant les navires de commerce font escale...



 Borobudur, VIIIè s, Java. (ph 2009)
Passant le détroit de Malacca, Marco navigue à plusieurs reprises entre Ceylan et les côtes de l’Inde : 
   Ceylan
"Grande et belle île", riche grâce au commerce des pierres précieuses, de la pêche aux huitres perlières, plusieurs pages sur la technique et les ressources en poisson et en épices. Marco détaille les coutumes du roi de son époque: polygamie, et pratiques hindouistes: 
Adorateurs du boeuf, et donc plutôt végétariens, certains ne mangent que des animaux tués par les « Sarrasins », les femmes suivent le mari sur le bûcher. Très propres, se lavent deux fois par jour.. il y revient dans les royaumes de l’Inde. 
 Polonnaruwa, le Temple Vatadage, XIIè, (ph 2017)
Un premier royaume, de religion bouddhiste avait été envahi par les musulmans, puis s’y établirent des enclaves tamoules, venues d’Inde, et quelques établissements chrétiens. Le site et les ruines du royaume de Polonnaruwa XIè-XIIIè siècle qui fut détruit par les Cholas. 
 Le Gal Vihara. IXè s.



Au centre de l’ile, il visite (?) l'inaccessible  Mont Adam, dont « les Sarrasins disent que c’est le sépulcre d’Adam notre premier père, les Idolâtres que c’est le monument de Sagamoni Burcan » (Bouddha) 

Marco découvre alors le Bouddhisme (du Petit Véhicule) et entreprend un long récit de la vie de Bouddha. 


 Pakistan, IIIè s: à droite la naissance. Musée Guimet.

 Les rencontres.

Le "délicat damoiseau", fils de roi, d’abord rejeté par son père qui le tenta par "trente mille pucelles, belles et avenantes", part, après la rencontre avec le malade, le vieillard et le mort, pour trouver un monde moins imparfait. 
Il s’en alla en de grandes montagnes, faisant grande abstinence. « Ils disent qu’ils mourut quatre-vingt quatre fois, et à chaque fois il devint un animal, cheval, singe, chien mais la quatre-vingt quatrième fois il mourut et devint dieu. »  Une concession:

« Car certes, s’il avait été baptisé chrétien, il aurait été grand saint avec Notre seigneur Jésus-Christ ». 

Ses effigies diffusées dans toute l’Asie et les monuments rayonnent au point que Le Grand Khan, Kubilai envoya des émissaires en 1284 pour acquérir quelques reliques, cheveux, dents, écuelle. 



 Le départ, Inde du sud IIIè, Musée Guimet.
Mais aussi, à Ceylan,  ces femmes aux pantalons rembourrés de bandes de coton.
 Coffre de mariage, Musée de Galle, Sri Lanka (ph.2017)
 « Ainsi font pour montrer qu’elles ont de belles fesses et devenir belles, car leurs hommes se délectent de femmes rebondies, et celle qui parait la plus renflée au-dessous de la ceinture leur semble plus belle que les autres. » 

Et toujours la pêche et les énormes poissons. Curieusement, si Marco Polo étudie les ressources agricoles, les types de vin de fruits de plantes et l’alcool de riz, jamais n’évoque le thé. 
Les côtes sud de l’Inde

 Mamallapuram, Relief VIIè s.  La descente du Gange?
Région de Malabar et de la côte de Coromandel : Retrouvant enfin un lieu chrétien, il évoque le tombeau de l’apôtre Saint Thomas qui évangélisa l’Inde depuis l’Asie Mineure, pour finir, tué ?, sur la côte est, proche de Madras, vers 90 après J-C. 

Plusieurs étapes dans les royaumes concurrents: dans l’actuel Tamil Nadu: le royaume Tamoul des Cholas, principal occupant de la région de Madurai. Puis des traces de l’extension du Royaume des Hoytalas , dont le centre à Hampi (Karnataka) dernier grand royaume à résister au sultanat de Delhi. 

Des Royaumes aux noms exotiques: Mutifili, Coilum, Comari, Eli, que les traducteurs ont pu situer, tous hindouistes, aux moeurs identiques. Marco Polo n’a jamais levé la tête pour décrire les temples gigantesques, par interdit moral? 




Une étude des différents « Idolâtres»: adorateurs de la vache, prêtres de l’hindouisme et les yogis, ascètes vivant nus. 




Ses commentaires sur les pratiques d’hygiène sont fort croustillantes. Les brahmanes: 

« Et vous dis que tous les Braaman se reconnaissent à un signe qu’ils portent. Car sachez que tous les Braaman du monde portent un fil de coton sur l’épaule droite se le lient sous l’autre bras.. » . 


Un peu magiciens font des horoscopes et des divinations. Quant aux ascètes, les ciugi (yogis) qui vivent nus, la nécessité de la crémation se justifie: 

« ils disent que s’ils ne brûlent les corps morts, ils feront des vers, et qu’après que les vers auront mangé ce corps dont ils sont créés, ils n’auront plus rien à manger, l’âme de ce corps en aura grand péché, car ils disent que les vers ont une âme ». 

 Temple de Kumbanakonam, Karnataka.



Les rois de l'Inde du sud élèvent aussi des chevaux, qu'ils exportent à Ceylan. 

Leur usage religieux anime les temples, pour les processions, comme à Hampi. Ils connaissaient la roue!

Marco décrit aussi les cérémonies aux temples où des danseuses nues -sauf leur « nature »- lèvent haut la jambe et tournent interminablement pour réconcilier le « dieu et la déesse » fâchés. On reconnaitra les amours tumultueuses de Shiva, jamais nommé. 
 Shiva dansant, Musée Guimet.
Suite de la circumnavigation
 Suivant la Route de la Soie, connue depuis l'antiquité,  Contournant le Karnataka, les principaux ports de commerce maritime entre le golfe persique et la Chine. Des milliers de vaisseaux de tous tonnages, jamais à l’abri d’attaques de corsaires. 
 Bateau arabe, expo IMA 
 Ils longent l’actuel Cochin puis la région de Bombay et le Royaume du Gujarat. De grands ports de commerce dans la péninsule de Kathiawar: Des cités d’idolâtres, (hindouistes), mais grands pirates qui attaquent les flottes marchandes venues d’Arabie et de Chine. La construction navale de gigantesques « dhow » jaugeant plusieurs milliers de tonnes. 
 Gujarat: le temple de Modhera. (ph.2013)
Au fond du golfe, à Khambhat, la ville est musulmane, déjà soumise au Royaume de Delhi. autant de ports importants qui contrôlent le trafic maritime, lequel rejoint Alexandrie, par un petit canal qui existait déjà au nord de la Mer Rouge. 

 Église sur le Lac Tana, Éthiopie (ph 2011)
Suit un « détour » après l’ile de Socotra, chrétienne à l’époque, par l’émirat d’Oman, Aden, et l’Ethiopie, où Saint-Thomas, aurait peut-être évangélisé. (Une fiction médiévale justifiant l’implantation de l’église copte). 
Puis Zanzibar, ses éléphants et ses girafes, enfin le sud du Yémen. (Jamais vu hélas!) 

La navigation se termine à Ormuz, sa ville caniculaire où des tours de ventilation rafraichissent les habitations. Sources chaudes, hammams, et charmantes musiciennes. 



La remontée en caravane à travers la Perse, se termine à Erzurum, la cité qui fut la dernière ville de ma première tentative (retour aux origines), puis Constantinople et Gênes où, Marco, enfermé, rédige ses mémoires: On repart au Livre 1. Les imagiers des manuscrits, contraints par leur format,  n’ont jamais mesuré la dimension des nefs!

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