Maisons traditionnelles un jour de fête, tissage Ikat. |
Sumba est l’une des « petites îles de la
sonde » à l’est de Bali et au sud de Flores, à l’écart des grandes routes
touristiques. C’était, il y a juste cinq ans, au terme d’un grand trip en
Indonésie, un anniversaire fort symbolique. Voyage aventureux qui finit en
rapatriement sanitaire, grâce à la dengue.
On
accède à Sumba en avion par Bali -peu de vols-, vers deux aéroports proches des deux villes
principales : à l’est, Waingapu, dans une zone sèche et relativement
plate, et Waikabubak à l’ouest au coeur de collines tropicales et fort humides,
surtout en période de mousson. Toutes mes photos sont ainsi plus qu’embrumées,
désolée !
Débarquant
seule à l’aéroport, je fus « récupérée » par un charmant jeune homme
attendant quelque touriste hypothétique, qui me conduisit dans un hôtel de la
« capitale » non sans faire un arrêt dans son commerce d’artisanat
local. Objets rituels, armes, boîtes à poisons et autres drogues…
Une
première découverte de la spécialité de Sumba, le tissage Ikat destiné à des
panneaux et pagnes de cérémonie, portés principalement par les hommes.
Préparation et nouage avant teinture. |
Une
technique très complexe : les
fils de chaîne et de trame sont teints avant tissage ; les motifs étant
préparés par couleurs en ligaturant des fils pour occulter le reste du dessin.
Après le montage du métier avec les fils de chaîne, le tissage de la trame doit
coïncider au mieux, d’où l’effet de flou. Le travail est réalisé par les femmes
dans les villages, sur un métier horizontal. Dans la galerie
couverte de chaque maison, le métier voisine avec les trophées.
Les traditions ancestrales encore vivaces
n’ont pas été éradiquées par l’islam, l’animisme « marapu » prévaut encore sur les religions importées.
Si Flores est catholique, à Sumba un protestantisme vaguement baptiste s’est
implanté dans les villes.
Ainsi à Waikabubak, je suivis le service religieux dans
une église bondée, dont l’officiante, une femme vêtue d’une longue chemise
blanche et drapée dans un somptueux ikat. Choeurs et musique à l’harmonium,
entre Harlem et R.Clayderman ; plus de deux heures de rituels et lectures
de la bible en indonésien, la communion sous deux espèces (brioche et vin
liquoreux) est portée dans les rangs par des servants immaculés. Une expérience
autrement exotique.
Femme tissant à Rende: un modèle "riche". |
Sumba est
:
En quittant la route, les pistes cahoteuses (un ami d’un
ami m’emmenait sur sa moto, courbatures garanties) conduisent aux villages
répartis dans la brousse à 50 kms de Waingapu.
La partie est de l’île comporte de
nombreux villages traditionnels : les maisons familiales s’organisent en
rangs parallèles, de part et d’autre des tombeaux de chaque famille. Les
ancêtres veillent ainsi sur leur lignée.
À
Rende, les tombes d’un groupe de chefs tribaux rivalisent de stèles sculptées,
édifiées sur d’énormes assemblages
de blocs ; les plus récentes ont remplacé la pierre par le béton.
Pau: ensemble de tombeaux |
À
Umabara comme à Pau, les stèles isolées figurent les animaux sacrés de la
religion, en bas relief, empilés, ou répartis sur les blocs étagés montés sur
piliers.
Stèle à Pau, détail. |
Quelques
figures humaines en ronde-bosse surmontent certains tombeaux. Les buffles,
comme à Sulawesi, sont l’objet de sacrifices.
Les tombeaux à Rende |
Cette
réadaptation figurative de mégalithes des autres régions d’Indonésie se réfère
donc à des traditions
qu’illustrent aussi les ikats.
Les
femmes tissent sur la galerie des maisons aux toits de paille (quelquefois
remplacés par de la tôle).
Maison à Rende : le séchage des nappes de fils de chaîne. |
Les habitants sont des éleveurs de chevaux,
une tradition de guerriers, mais les porcs énormes vagabondent un peu partout.
Décor de galerie |
Sumba Ouest
Waikabubak : cette petite ville qui
comporte une église, une mosquée et quelques campements hôtels fréquentés par
des humanitaires, est construite entre des collines sur lesquels d’anciens
villages maintiennent une vie fort rustique.
Wakabubak, le vieux village: de l'usage des tombeaux... |
Un
village ancien domine le stade et l’hôpital (triste souvenir de malades
arrivant trop tard, de fabrication de médicaments sans nom, distribués en
sachets -dose, de diagnostic aléatoire).
La plage de Lamboya |
Les
humanitaires en question méritent quelques lignes : un grand Suisse
distribuait des bibles et des antibiotiques, son amie chrétienne originaire de
Timor me servit d’interprète ; deux japonais venaient apprendre aux locaux
des techniques de culture du riz (comme si c’était utile), leur interprète
musulmane leur interdisait toute visite dans des villages animistes, mais nous
sommes quand même allés à la plage.
Un "Puits de l'espoir" en cours. |
Enfin
André Graff, un Français qui creusait des puits dans les villages éloignés afin
d’améliorer l’hygiène dans une région infestée par le palu. Son action quasi
héroïque continue, comme nos échanges de mails. Une association efficace, quand on a vu l'état sanitaire de la région.
Village de l'ouest, pendant la mousson. |
Mon guide et deux paysans en tenue. |
Les
visites de villages que j’ai pu
faire (sur le porte-bagages de la mobylette de l’employé du campement)
m’ont convaincue de l’urgence
sanitaire :
les gamins crapotent avec les chiens et les porcs dans des
mares infestées d’insectes. Ni eau ni électricité. Une rare école éloignée.
Mâchoires ornant la salle commune. |
En visitant une maison, on comprend le
mode de construction : une sorte de tour axiale maintient le toit, et
supporte l’étage d’habitation intérieure ; la galerie sur quatre côtés est
montée sur pilotis. Un foyer central sert de cuisine entouré de bancs formant
couchage. Moustiquaires inconnues.
Les cornes des buffles sacrifiés ornent la
galerie, peuvent servir de porte chaussures, alors que les mâchoires d’animaux
garnissent les soupentes.
Les
tombes au centre, peu décoratives, un « dolmen » basique, servent de
séchoir à céréales ou à la lessive. Quelque fût leur misère, les mômes étaient écroulés de rire en
voyant une blanche, et n’avaient pas encore appris la mendicité.
ANAKALANG:
Tombeau traditionnel, vers 1950. Sur le côté, l'enfant. |
Vue de face, le couple. |
À trente kilomètres à l'est de Waikabubak, cette région est mieux connue par la statuaire particulière des tombes:
Face nord et ouest |
L'homme et la femme sont figurés à une
dimension identique.
Le couple et les chevaux |
Les tombeaux érigés au centre des groupes de maisons
diffèrent de ceux de l’est : plus plats, les bordures
sont sculptées de scènes rurales, et des stèles figurant les défunts sont
taillées sur quatre faces. Les compartiments inscrivent différentes scènes : les portraits de famille, le bestiaire et les rituels. Des encadrements à motifs géométriques.
Construction complexe: les dalles et la stèle |
Les
ancêtres ne sont pas très anciens, même s’ils ont quelque chose de "romains de
la république", les tombes datent des années trente ou cinquante, mais très noircis par l'humidité.
Rasta pas mort. |
Un
ancien, vêtu d’un t-shirt à l’effigie d’Haïlé Sélassié (un rasta de dernière
heure !) nous expliqua la méthode pour rouvrir les dalles afin d’inhumer
le défunt récent : le tombeau est familial comme la maison.
Tombeau moderne |
La zone
agricole assez riche est proche de la route principale.
L’apport de commerçants nouveaux et
musulmans se repère par de nouveaux tombeaux en dalles de faïence bleue,
éventuellement couvertes d’un hangar.
Au sud de Wakabubak: les villages perdus...
Ambiance humide ! |
Maison de village |
La pratique du tissage reste l'apanage des femmes, même dans les villages perchés.
Sur une dalle, un "arbre à crâne" |
D’autres
villages (sacrés parfois) noyés dans la jungle complètement isolés et sans
ressources ne comportent que de grandes dalles et quelques pierres en vague
forme de cheval ou des « arbres à crânes ».
L'ancêtre |
Un
superbe vieux, d’une couleur étrange, faisait signer un livre d’or contre
quelques dollars au rare touriste.
Les femmes sans âge , particulièrement décaties vivent
torse nu, mais quelques jeunes résistent encore, très hospitaliers. Ce village à brûlé depuis.
La lune de Février
Scène de combat du Pasola |
Tout le monde
attendait la grande cérémonie du
« Pasola » : la reconstitution
annuelle d’un combat rituel de
quelques centaines de cavaliers armés de lances. La date de cette fête
(quelquefois sanglante) est donnée par l’arrivée de vers sur la plage au sud de Lamboya, à la
lune de février.
Nous avons vu la plage, les rouleaux,
les surfeurs australiens n’étaient pas là, les vers non plus.
On
y était presque, mais terrassée par la dengue et une supposée typhoïde, je dus
reprendre le premier avion, deux jours trop tôt, avec comme consolation un ikat
figurant ce même pasola. Et
j’ai dû interrompre mon enquête sur les sculptures. Damned.
Pour une analyse des rituels d’édification des tombeaux,
et leur iconographie, un ouvrage :
« Messages de Pierre », Statues et sculptures de l’Indonésie
primitive dans les collections du Musée Barbier-Müller, Skira/Seuil, 1999.
Chouette article, chouettes photos :)
RépondreSupprimerJ'ai fait cette petite video de Sumba qui vous rappellera surement des souvenirs:
https://youtu.be/PdeD0-IdbRE